samedi 11 juin 2011

Faut que j'aille voir ma mère

Faut que j'aille voir ma mère. Ça fait trop longtemps que j'y suis pas allé. Non, le problème c'est pas que c'est loin, je suis à peine à quinze minutes en voiture. C'est juste qu'il faut que j'y aille. Le coup de pied est parti, c'est le temps qu'il m'arrive au bon endroit, et top départ. Mais j'ai le boulet au pied. Non, ce qui me retient c'est qu'avec elle c'est tout ou rien, et plus souvent rien que tout, d'ailleurs. C'est son moral, ça ne va pas, et du coup sa santé en pâtit. Quand elle est pas bien, elle parle plus, elle dit plus rien, elle souffle, elle est désespérée, elle se fait du souci pour tout et pour tous.
J'ai tout essayé. Quand j'y vais, je la traîne à quitter sa retraite pour une promenade. "Tu devrais sortir plus souvent, t'aérer, ça fait du bien tu sais, je lui dis.
- Je sais. Le docteur me le recommande tout le temps."
Mais rien n'y fait, ni le beau temps, ni ma présence. Ma mère, on dirait qu'elle a mis tous les maux de la terre dans un sac et  qu'elle se le porte sur le dos, toute courbée. Le problème c'est que je dois l'aider à porter son fardeau. C'est pas que je sois pas compatissant, ni volontaire, ni moins humain qu'un autre, c'est que c'est lourd et que chaque fois j'en reviens plus mal en point qu'avant d'aller lui rendre visite. J'avoue que je ne suis pas spécialement en forme ces temps-ci et c'est encore plus difficile pour moi. Surtout lorsqu'elle me sert du : "ah, mon pauvre, qu'est-ce qu'on va faire si tu vas pas mieux?" Elle se dépite, se désespère, remplit son sac, et plus je l'entends me plaindre et plus l'angoisse me prend, l'envie de partir : c'est toujours comme ça. Si je ne vais pas la voir, je culpabilise, c'est ma mère quand même!
A d'autres périodes, qui sont beaucoup plus rares, elle est complètement euphorique. Quand elle vient chez moi, elle me dit :"Comme il est beau le jardin !
- Oui, hein.
- Tu es bien ici.
- Oui maman.
- Elles sont belles tes roses.
- Oh oui.
- Tes tomates sont magnifiques!" Et des tomates elle passe à moi : "comme t'y es beau mon fils!" Ma mère est pied-noir. Là, elle tient plus en place, veut tout visiter, voir tout le monde. Tout son passé de jeune femme ressurgit et elle raconte tout, des histoires cent fois répétées. La nuit elle ne dort plus, trop d'images encombrent encore son esprit, trop de sentiments qui refleurissent, trop d'excitation. Et peu de temps après, c'est la rechute.
J'ai appelé sa psy. Tout est question de dosage, m'a-t-elle expliqué. Et avec votre maman, ça n'est pas évident à régler. Je sais que tout se tient au quart de médicament près, c'est fou.
Avec ses cent kilos, ma mère tient sur un fil, qui sous le poids, courbe les poteaux et tous les étais qu'on s'évertue à ajouter. Comme le disait le bouddha à propos du violon : "une corde trop tendue casse, une corde pas assez tendue ne sonne pas." Ah, les sanglots longs des violons de ma mère...

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