dimanche 11 septembre 2011

Vide

J’ai vu un vieil homme à moitié saoul assis à la terrasse d’un bistrot en plein soleil face à la mer. Je l’ai vu à travers une marée humaine qui défilait devant lui, à travers des jambes lisses tout juste recouvertes de maillots, de voiles transparents, suivant des corps bien faits qui laissaient derrière eux des odeurs jeunes de crème et de parfums mélangés.
Il fixait toujours le même point, une tache vers le sol, que des pieds nus balayaient en passant. Il regardait droit devant, comme si rien n’existait. Je l’ai vu, cet homme, et je n’ai rien dit. Je n’avais pas de mot.

J’ai suivi tous ces gens, j’ai cru que je leur ressemblais. Ils allaient sur la plage. Tous ceux qui se tenaient la main, ceux qui marchaient seuls, ils allaient vers la plage. Je ne savais pas ce qu’ils se disaient, ni même s’ils se parlaient, je marchais avec eux. Ils n’avaient pas de mot.

J’ai poursuivi la route sur la corniche qui domine la mer. Je voulais voir de loin, je devais monter. Je voulais voir la mer d’en haut, voir tout ces gens comme des points, voir ce vieil homme comme un point.
Je sentais l’air vif, et violent, sur mon visage. Je percevais un grondement autour de mes oreilles. Le souffle m’enlevait mes pensées, j’avais la tête vide.
En approchant du bord du sentier qui longeait la route, je voyais tout en bas la mer se briser aux pieds de la falaise.
Plus loin, j'ai vu une femme dangereusement assise sur un rocher qui surplombait le vide. Elle ne regardait rien. Sous elle, les roches aiguisées plongeaient dans la mer.
J’ai quitté le sentier, j’ai essayé de l’approcher, le vent redoublait, je perdais quelque peu l’équilibre, je savais que le vide appelait, je voulais lui parler. Je n’entendais rien. Je n’avais pas de mot.
Une rampe en bois nous séparait, je m’y accrochai. La femme était là, à quelques pas de moi. J’ai pensé des mots si faibles, des mots emportés par le vent. Elle était assise dangereusement, de l’autre côté, et n’avait pas bougé. Son regard restait vague. Je n’ai rien dit, je n’avais pas de mot. Et j’ai continué.

Je suis rentré tard. J’ai bu. J’ai fumé. J’ai mangé. J’ai fumé encore.
Je suis monté me coucher et j’ai laissé la lumière allumée en restant allongé à regarder le plafond blanc.
Au bout d’un moment, j’ai éteint. Je n’ai rien dit. Je me suis endormi. 

6 commentaires:

  1. impuissante passivité, avons nous donc un sens ?

    RépondreSupprimer
  2. @ LH : il ne faut pas (se) juger ainsi. le sens, il faut le donner, plusieurs voies le permettent.
    Pour ma part, je suis déjà engagé. Cependant, il y aura toujours à faire. Mieux vaut envisager que se flageller, non ? Le sens, nous le possédons, reste à le donner.

    RépondreSupprimer
  3. L'homme un peu soûl, la femme assise sur un rocher...tous deux qui fixent un point qui semble invisible aux yeux des gens. Et il y a toi, cet homme qui regarde, et qui ne semble que faire, ou que dire. Donc, devant l'ignorance et la douleur qui peut exister chez les autres, l'homme demeure parfois impuissant...mais pourtant, ne ressent-il pas cette peine qui étouffe?!? Bravo...très beau texte, touchant.

    RépondreSupprimer
  4. @ Delvina Lavoie : évidemment qu'il ressent la douleur (on doit nuancer entre souffrance et douleur qui sont différents. Ce qui difficile, c'est que la douleur (physique ou morale) est invisible et impalpable (sauf pour celui qui l'éprouve en lui-même). Elle reste donc pratiquement indicible, indescriptible (elle n'a pas de forme). Seule la vue du sang peut troubler et émotionner l'observateur.
    Devant ce constat, que j'essaie de mettre en lumière, on reste parfois avec le sentiment de ne pas savoir quoi faire, ou comment faire, ou quoi dire pour soulager la douleur de l'autre pour lequel on éprouve de la compassion.
    La douleur, la souffrance, enfermée dans un corps. Baudelaire l'a très bien dénoncé.

    RépondreSupprimer
  5. @ antigone : moi non plus, mais j'aime bien que tu aimes bien ;-)

    RépondreSupprimer