Dans la prairie bruissante où je siestais, paisiblement bercé aux grésillements continus, aux échos stridulants de cigales lointaines, une reine à la robe orangée, une abeille troublée qu'un miel attirait, s'est posée sur ma tempe. Dans un demi-sommeil, j'ai senti le chatouillis des pattes minuscules tout près de mon oreille. J'attendais qu'elle s'en aille, sans bouger, pour ne pas qu'elle me pique. Ce fut long. Je me suis assoupi.
Dans mon rêve s'emmêlaient des visions d'élytres fiévreusement frottées, des tympans à fleur de pattes; et aussi, la mémoire douloureuse d'une chair de peau rougissante que la pointe fine d'une folle volante avait excitée. Réveillé à l'idée que l'insecte, coincé dans ma feuille, recherchait sa sortie, je frissonnais pensant au fluide qu'il pouvait diffuser.
J'ai laissé faire l'abeille calmement, attendant patiemment qu'elle s'ennuie dans le fond. Et j'ai écouté encore très longtemps les grillons qui chantaient dans ma nuit. Mais elle a fait sa place dans ma trompe, et elle y est restée sagement.
Résolument, j'ai plongé ma tête dans l'étang. J'ai voulu la noyer de chagrin. À l'abri dans la coquille du limaçon, avec tout l'air dont elle pouvait disposer, elle attendait qu'enfin je veuille bien respirer. Même si j'avais pu me noyer, c'était sans elle, qui toujours pouvait glisser vers la surface, pendant que moi, j'embrasserais la mienne, près du fond.
Dans ma conscience enivrée, asphyxiée, je vis flotter des images colorées, et j'ai retiré la tête hors de l'eau. J'avais une idée. Je savais comment l'attirer au dehors.
Près du pavillon, je lui ai présenté les plus belles fleurs de l'été, du moins toutes celles que j'avais à ma portée. Des marguerites rousses aux senteurs orangées, un tournesol miniature d'un jaune chatoyant, poussé d'une graine emportée par le vent, des belles de nuit fraîchement écloses et odorantes, des gueules-de-loup, qu'elle puisse s'y jeter, et même des pissenlits, qui n'avaient d'autre prix qu'une couleur vibrante, et un parfum prégnant. Mais la belle dédaigneuse a refusé mes avances.
Dépité, n'y pouvant plus, je suis retourné à la ville.
Bousculé dans ce monde qui grouille et qui fouille, parlant codes en marchant, sur ondes téléphoniques, seul sous moi, au-dessus d'une terre perdue, débranché, je cherchais l'entrée du cabinet du médecin Kara qu'un concert d'acouphènes n'avait jamais effrayé.
D'alvéole en alvéole, de place en place, finalement je le trouvai. Dans la salle d'attente bondée, j'attendis longuement dépilant des revues imbéciles que des bambins déchiraient à plaisir. J'imaginais de plus en plus les ustensiles froids pénétrer le conduit de plaisir. Je me disais que j'entendrais à nouveau tout ce que je voudrais, que je pourrais, grâce à la science, dicter à nouveau mon silence. Quand le médecin magicien plongea l'aiguille de fer au plus profond sans même crever d'opercule, j'entendis un murmure de félicité.
L'homme me dit qu'il n'avait rien trouvé qu'un peu de cire jaune, et quelques cils épars. J'étais éberlué, je ne pouvais rien dire qui fut vrai. À l'approche du dard, je la sentis qui s'enfonçait pour finir par se perdre au fond de mes pensées. Et c'est là qu'elle réside depuis, et qu'elle y a pondu.
J'entends désormais mille bourdonnements. Et sa danse encore me rend fou. Pourtant, certains jours, elle emporte sur ses ailes un peu de mon pollen, et me fait découvrir son ciel. C'est pour ça que je n'ai jamais pu la chasser.